François Mauriac à Royan, 2 octobre 1960
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Une estime réciproque aussi bien qu'une profonde amitié unissaient les deux écrivains : François Mauriac et Louis Gillet (père de l'architecte) ainsi que leurs deux familles. Dans son célèbre « Bloc-Notes » du Figaro, François Mauriac évoque, non sans une certaine émotion, son voyage à Royan en compagnie de Guillaume Gillet qui voulait lui présenter lui-même « son » église.
« Je ruminais ces pensées sur des routes pluvieuses. Je roulais vers Royan où Guillaume Gillet voulait me présenter lui-même à l'Église qu'il y a édifiée : son église, son orgueil. Nous étions résignés à la pluie, mais l'azur apparut à travers la brume déchirée. Sauveterre-de-Guyenne, Libourne, Saint-André-de-Cubzac... Au-delà, je pénètre dans une région que je connais mal et qui pourtant m'est chère : c'est le pays d'André Lafon, mon ami. Ce soir, en rentrant, nous ferons un détour pour nous arrêter au cimetière de Blaye où il repose. Le pays d'André Lafon... Ces temps derniers, dans Les Lettres Françaises, je ne sais qui le traitait dédaigneusement de « poète régionaliste ». Et certes, il est vrai que cette source a jailli au bord de l'estuaire immense que je longe en ce moment. Mais le royaume d'André était en dedans de lui : ce monde intérieur qui était le nôtre m'a toujours incliné à juger étroites et bornées les perspectives « cosmiques » des poètes d'aujourd'hui.
« Je la vois ! Qu'elle est belle ! » Un grand vaisseau sombre se dresse au-dessus de cette exposition universelle qu'est le nouveau Royan : l'Église de Guillaume Gillet. Elle est fille de l'estuaire et de la mer : elle leur ressemble, mais non à cette ville ni à ce peuple. On dirait que ce bâtiment de haut bord, aux noires voilures déchiquetées, a échoué là, et son pavillon est celui d'un pays inconnu. Cette église a beau être de béton, elle nous arrive pourtant du fond des siècles, elle participe de styles auxquels elle n'a rien emprunté.
« Que votre père eût été heureux de voir cette église ! », dis-je à Guillaume qui me répond : « Il la voit... »